mardi 7 avril 2020

Nous devons vivre avec l'incertitude


Quasi-centenaire, le sociologue, éternel optimiste, 
envisage le confinement comme une occasion inespérée 
de régénérer la notion même d’humanisme, 
mais aussi pour chacun d’opérer un tri 
entre l’important et le frivole.
.

Simon Blin



Ce qui est très intéressant, dans la crise du coronavirus, 
c’est qu’on n’a encore aucune certitude sur l’origine même de ce virus, 
ni sur ses différentes formes, les populations 
auxquelles il s’attaque, ses degrés de nocivité… 
Mais nous traversons également une grande incertitude 
sur toutes les conséquences de l’épidémie 
dans tous les domaines, sociaux, économiques...

Mais en quoi ces incertitudes forment-elles, selon vous, 
le lien entre ces toutes ces crises ?
E.M. : Parce que nous devons apprendre à les accepter 
et à vivre avec elles, alors que notre civilisation nous a inculqué
 le besoin de certitudes toujours plus nombreuses sur le futur, 
souvent illusoires, parfois frivoles, quand on nous a décrit avec précision 
ce qui va nous arriver en 2025 ! L’arrivée de ce virus doit nous rappeler 
que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine.

Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire 
ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade
 ou que vous serez heureux en ménage ! 
Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, 
mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes,
 à travers des îlots et des archipels de certitudes 
sur lesquels on se ravitaille…


C’est votre propre règle de vie ?
E.M. : C’est plutôt le résultat de mon expérience. 
J’ai assisté à tant d’événements imprévus dans ma vie 
– de la résistance soviétique dans les années 1930 à la chute de l’URSS,
 pour ne parler que de deux faits historiques improbables avant leur venue – 
que cela fait partie de ma façon d’être. Je ne vis pas dans l’angoisse permanente, 
mais je m’attends à ce que surgissent des événements plus ou moins catastrophiques.

Je ne dis pas que j’avais prévu l’épidémie actuelle, 
mais je dis par exemple depuis plusieurs années 
qu’avec la dégradation de notre biosphère, 
nous devons nous préparer à des catastrophes. 
Oui, cela fait partie de ma philosophie : 
« Attends-toi à l’inattendu. »
.
.......
 
Que peut nous apprendre le philosophe que vous êtes 
pour passer ces longues périodes de confinement ?
E.M. : C’est vrai que pour beaucoup d’entre nous
qui vivons une grande partie de notre vie hors de chez nous,
ce brusque confinement peut représenter une gêne terrible.
 Je pense que ça peut être l’occasion de réfléchir, de se demander
ce qui, dans notre vie, relève du frivole ou de l’inutile.


Je ne dis pas que la sagesse, c’est de rester toute sa vie dans sa chambre,
mais ne serait-ce que sur notre mode de consommation ou d’alimentation,
c’est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture industrielle
 dont on connaît les vices, le moment de s’en désintoxiquer.


C’est aussi l’occasion de prendre durablement conscience
de ces vérités humaines que nous connaissons tous,
mais qui sont refoulées dans notre subconscient :
que l’amour, l’amitié, la communion, la solidarité
sont ce qui font la qualité de la vie.
.

Edgar Morin et Francis Lecompte

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