mardi 19 mai 2020

Oxymores, injonctions paradoxales et double contrainte


En 2018, j'avais publié plusieurs articles sur la façon 
dont le pouvoir politique usait et abusait de l'"oxymore", 
cette figure de style qui consiste à rapprocher 
deux mots ou deux expressions opposées.(*)
.


 
En ce moment, dans le même ordre d'idées,
je suis frappée par la façon dont on utilise
 à tour de bras et sans complexe 
les  ordres et contre-ordres, les volte-faces

Pas un jour ne se passe 
sans que l'on ne nous annonce l'inverse 
de ce  qu'on nous a dit la veille
(ou l'avant-veille) !

"Le virus n'est pas dangereux...
ah, si, il est TRES dangereux...
Il faut vous protéger...
mais il faut continuer à vivre et à aller voter...
Vous devez absolument rester chez vous...
mais vous pouvez aller dans les magasins...
Oui, dans les magasins...là où c'est bondé,
mais pas dans la forêt , ni sur la plage,
sinon vous aurez une amende  !
Le masque est inutile...
mais, finalement, il sera obligatoire...
Les écoles ne seront jamais fermées...
Ah, finalement, si, 
elles le seront dès après-demain...
et pour longtemps...
parce que c'est le plus urgent.
Mais on va les rouvrir...avant tout le reste !
Le virus n'est pas dangereux pour les enfants...
mais il est indispensable de respecter 
un protocole hyper-contraignant...
pour les protéger les uns des autres...
C'est un devoir de rester confiné
mais il faut se déconfiner 
pour assurer l'immunité collective...
Etc, etc, etc..."

Depuis plusieurs semaines,
nous sommes ainsi soumis à un bombardement permanent 
de ce qu'on appelle, en psychologie, des "doubles contraintes".
(ou double bind, en anglais)



Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce mécanisme psychologique,
voilà, pour info, ce qu'en dit Wikipédia :

Définition générale

Une double contrainte désigne l'ensemble de deux injonctions 
qui s'opposent mutuellement, 
augmentées d'une troisième contrainte qui empêche l'individu 
de sortir de cette situation.

En termes de logique, elle exprime l'impossibilité
 que peut engendrer une situation
où le paradoxe est imposé et maintenu. 
Ce schéma peut être identifié dans des domaines 
comme l'éthologie, l'anthropologie, 
la situation de travail
ou la communication internationale. 

On le présente au niveau des relations humaines 
comme un ensemble de deux ordres, explicites ou implicites, 
intimés à quelqu'un qui ne peut en satisfaire un sans violer l'autre ;
 comme les obligations conjointes de faire et ne pas faire une même chose.
 Gregory Bateson l'exprime ainsi : vous êtes damné si vous le faites, 
et vous êtes damné si vous ne le faites pas

 Une retranscription proposée est :
Si tu ne fais pas A, tu ne (survivras pas,
 ne seras pas en sécurité, n'auras pas de plaisir, etc.
Mais si tu fais A, tu ne (survivras pas, ne seras pas en sécurité, 
n'auras pas de plaisir, etc.).
La double contrainte exprime donc le fait 
d'être acculé à une situation impossible, 
où sortir de cette situation est également impossible.


On rencontre des mécanismes de double contrainte 
dans le milieu du travail,
lorsque les missions assignées à une personne, 
ou un service sont rendues quasiment impossibles
par l'absence de moyens ad hoc ou par l'environnement, 
ou encore lorsque la description détaillée des missions 
renferme elle-même des contradictions. 

En 2020, les décès résultant de pandémie de coronavirus, 
prenant plusieurs milieux politiques européens par surprise, 
menèrent à quantité d'injonctions paradoxales, 
entre l'encouragement à ne pas céder à la panique 
et à vivre normalement d'une part, 
et celle de rester confiné chez soi d'autre part, 
mais "en même temps" d'assurer ses activités
si celles-ci étaient vitales, 
se succédant parfois à quelques heures d'intervalle.
 .
 Wikipédia
"Double contrainte"
.


Quel est le principal effet de la "double contrainte" ?
Eh bien, c'est de "faire disjoncter 
la capacité de raisonnement"
de la personne qui y est soumise.

Le "double bind", c'est bien connu,
est capable de nous rendre "fou"...
il nous rend confus
et nous fait perdre notre lucidité.




Voici un autre article qui l'explique bien :

"Injonction paradoxale ? 
Placer une personne entre deux obligations contradictoires.
 L’une est consciente, l’autre non. 
Toute la puissance de la technique vient de cette partie inconsciente. 
En jouant sur elle, on court-circuite le libre arbitre de la personne.

Pour cela, on utilise ce à quoi une personne tient le plus. 
Par exemple son sens de l’honneur,
l’amour qu’elle éprouve pour vous, 
le respect qu’elle doit à ses parents,
sa peur de la mort, des souris
ou de perdre son emploi…
.
Article complet ICI
.

Si nous ouvrons un peu les yeux, nous nous apercevrons que,
dans la situation actuelle, on joue en permanence
sur nombre de ces "leviers inconscients" :
par exemple sur notre empathie naturelle,
notre désir de "ne pas faire de mal à notre prochain",
de ne pas le mettre en danger d'être contaminé, 
on fait appel à notre civisme, 
à notre "conscience collective"...ou "professionnelle"
et, dans le même temps, nous nous retrouvons  régulièrement
dans l'incapacité concrète de respecter ce qu'on nous demande...
(à cause du manque de masques, de moyens, de temps,
 ou de certaines conditions de travail, de logement...etc)

Beaucoup d'entre nous se retrouvent donc
dans une situation psychologique "intenable"
tiraillés et même souvent "déchirés"
par d'insolubles "conflits de loyauté".


Dans cette situation "intenable",
où l'on nous demande "l'impossible"
nous nous retrouvons désorientés,  fragilisés...
épuisés, voire paralysés par l'angoisse....
et bientôt tentés d'accepter n'importe quoi...
pour soulager cette tension insupportable.
 




Comment sortir de ce genre de situation ?
me demanderez-vous. 

Eh bien, ce sera l'objet d'un deuxième article...:-)



.
La Licorne
.


(*) Oxymores :
Rappelez-vous, on nous a tour à tour
vendu le "développement durable", 
la "flexisécurité", la "guerre propre" ...
et le dernier  en date, qui, vraiment, 
 est une "perle" dans son genre :
le "traçage anonyme" !!!
.





2 commentaires:

  1. Ordre/contrordre, information/désinformation, vérité/contre-vérité, affirmation/négation, déclaration/contradiction, le tout dans l’indifférence chronique et le silence assourdissant du troupeau.

    Cela me rappelle tout à fait le fonctionnement des engagés vis-à-vis des appelés, à l’époque historique et archaïque du service militaire, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
    La seule différence c’est que cette méthode était ouvertement reconnue et sciemment appliquée comme une stratégie d’affaiblissement progressif de la personnalité ; il fallait à tout prix casser le moral des hommes et lézarder le mental des troupes pour qu’elles obéissent comme un seul homme, sans jamais discuter les ordres ou remettre en question les injonctions des supérieurs. Cela s’appelle la discipline militaire.

    Dans ce monde confiné, le but à atteindre consistait à instiller la peur, générer l’angoisse, perpétuer l’incertitude, dissuader l'opposition, perturber l’équilibre mental, sous l’épée de Damoclès de sanctions diverses et variées toujours prêtes à tomber (exercices physiques durs et répétitifs, multiplications des corvées, suppression des permissions de sorties, et en fin de parcours, séjour carcéral).

    Bien évidemment, toute ressemblance avec la société actuelle ne pourrait être que purement fortuite et l’apparence d’une discipline arbitraire ne saurait engager la responsabilité des décideurs actuels, puisque nous sommes en guerre.

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  2. :-)
    Eh oui, c'est bien vu, c'est tout à fait ça...
    J'ai échappé au service militaire, en tant que femme (et j'en suis ravie), mais j'avais bien compris comment ça fonctionnait.
    J'ai un ou deux amis qui en sont sortis révoltés par l'absurdité de ce qu'on leur demandait.
    Une chose me console : c'est que , quand l'absurdité est poussée trop loin, elle devient "flagrante" !

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