vendredi 17 juillet 2020

Je trouve la vie belle


J'ai en moi une immense confiance.
Non pas la certitude de voir la vie extérieure tourner bien pour moi,
mais celle de continuer à accepter la vie et à la trouver bonne,
même dans les pires moments.




Je me sens responsable du sentiment grand et beau
que la vie m'inspire et j'ai le devoir d'essayer
de le transporter intact à travers cette époque
pour atteindre des jours meilleurs.
...
.

Ce matin en longeant à bicyclette le Stadionkade,
je m’enchantais du vaste horizon
que l’on découvre aux lisières de la ville
et je respirais l’air qu’on ne m’a pas encore rationné.
Partout des pancartes interdisaient aux Juifs
les petits chemins menant dans la nature.
Mais au-dessus de ce bout de route qui nous reste ouvert,
le ciel s’étale tout entier.
On ne peut rien nous faire, vraiment rien.

On peut nous rendre la vie assez dure,
nous dépouiller de certains biens matériels,
nous enlever une certaine liberté de mouvement tout extérieure,
mais c’est nous-mêmes qui nous dépouillons de nos meilleures forces
par une attitude psychologique désastreuse.


En nous sentant persécutés, humiliés, opprimés.
En éprouvant de la haine.
En crânant pour cacher notre peur.
On a bien le droit d’être triste et abattu, de temps en temps,
par ce qu’on nous fait subir : c’est humain et compréhensible.
Et pourtant la vraie spoliation c’est nous-mêmes qui nous l’infligeons.

Je trouve la vie belle et je me sens libre.
En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament.
Je crois en Dieu et je crois en l’homme.

J’ose le dire sans fausse honte.
 La vie est difficile mais ce n’est pas grave.
Il faut commencer par « prendre au sérieux son propre sérieux »,
le reste vient de soi-même.


Travailler à soi-même,
ce n’est pas faire preuve d’individualisme morbide.
Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique
que si chaque individu fait d’abord la paix en soi-même,
extirpe tout sentiment de haine
pour quelque race ou quelque peuple que ce soit,
ou bien domine cette haine et la change en autre chose,
peut-être même à la longue en amour – ou est-ce trop demander ?
C’est pourtant la seule solution…

Ce petit morceau d’éternité qu’on porte en soi,
on peut l’épuiser en un mot aussi bien qu’en dix gros traités.
Je suis une femme heureuse et je chante les louanges de cette vie,
 oui vous avez bien lu, en l’an de grâce 1942,
en la énième année de guerre." 
...
.


 Etty Hillesum
"Une vie bouleversée"
.




2 commentaires:

  1. Une personnalité hors du commun, une trajectoire spirituelle inouïe.
    Ce beau portrait fait par toi ?

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  2. Eh, j'aimerais bien...
    Mais non ! Je sais photographier...mais pas dessiner !

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