Nous sommes aujourd’hui à la croisée
des chemins. Le transhumanisme façonne une nouvelle espèce humaine avec
la technologie, l’intelligence artificielle et la manipulation génétique
des corps.
Le post-humanisme propose un élargissement de la conscience
humaine en l’extirpant de son bocal narcissique. Dans tous les cas
l’homme après l’homme est en marche.
L’humanisme naquit discrètement au Quattrocento à partir de 1399. Il
prit un visage scientifique avec Francis Bacon (1561-1626) puis rayonna
dans les découvertes de Newton (1642-1727) et la philosophie de
Descartes (1596-1650). Il devint finalement un idéal philosophique aux
nuances multiples avec les Lumières du XVIIIe siècle.
A l’aube du XXe siècle ces idéaux qui plaçaient l’homme et sa liberté
au-dessus de tout, au-dessus de la Nature et du sacré, volèrent en
éclat dans deux guerres mondiales et de multiples inégalités sociales.
Ce fut leur arrêt de mort car nous prîmes conscience que la liberté
humaine et la libre pensée mènent aussi à la violence la plus extrême. Néanmoins sa force et son empreinte continuent toujours d’imprégner nos consciences.
L’une de ces empreintes futuristes est le transhumanisme qui cherche à
matérialiser la métaphore de l’homme-machine proposée par Descartes.
Placer l’homme au centre de l’univers et au-dessus de tout a pour
conséquence de produire un type d’humain hyper-narcissique avec des
sociétés à l’avenant, en perte de lien avec la biosphère et avec
l’Esprit. Au Moyen Âge, la nature était chantée, louée, magnifiée, comme
un monde mystérieux où pouvait s’épanouir les plus profondes qualités
humaines : l’amour courtois et l’initiation au mystère métaphorisée par
la quête du Graal. Quant aux peuples premiers, ils considéraient la
Nature végétale comme l’épiphanie de la grande déesse.
Aujourd’hui, le
narcissisme humaniste développe la vision d’hommes aux pouvoirs
augmentés par la technologie. Comme l’adolescent présenté par Ovide,
ces hommes recherchent la perfection du corps, l’éternelle jeunesse et
l’immortalité. Ils sont également insensibles à la souffrance causée par
leurs désirs de toute-puissance à l’ensemble du vivant. Sans aller
jusqu’au transhumanisme, qui n’en est que la conséquence logique et
presque caricaturale, la vieillesse est cachés dans des maisons
spécialisées et la mort derrière les murs des cimetières. Notre société
valorise l’adolescence, les corps en mouvement, les fêtes et les
distractions alors que nos vieux ne sont que des adolescents fatigués. En
d’autres temps, dans d’autres lieux, c’étaient des « anciens » à qui on
allait demander conseil, des conseils nés d’une longue vie maturante où
la souffrance conduisait encore à une forme de sagesse.
(...)
Le transhumanisme est l’aboutissement logique de notre société
hyper-narcissisée qui a oublié le premier commandement inscrit au
fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même ». Grâce à
certaines technologies prométhéennes comme les nanotechnologies et le
génie génétique les transhumanistes cherchent à amener le sujet à
réaliser tout son potentiel, dans ce qu’il a de plus beau et de plus
accompli, mais seulement en termes de valorisation égotique. Ils
ignorent les autres règnes de la nature car ils ne sont pas dans la
conscience du cœur. Tant que la personnalité n’a pas touché cet espace
cardiaque, elle ne peut pas vraiment comprendre qu’il y a autre chose qu’elle-même dans l’univers.
(...)
Le nouveau monde est déjà là
Cela commença au crépuscule du XIXe à l’aube du XXe siècle avec
Freud, Einstein, Max Planck, Niels Bohr, Husserl, Cantor et Kandinsky.
Qu’ont en commun la psychanalyse (1900), la Relativité (1905),
l’intrication quantique (1900), la phénoménologie transcendantale
(1913), l’affirmation de la réalité ontologique des ensembles infinis
(1874) et l’art abstrait (1903, Le cavalier bleu) ? Absolument
rien dans la forme, mais ils ont tous en commun une même Idée : ce que
nous avons jusqu’à présent appelé « réalité » est sous-tendu par une
surréalité qui dépasse nos capacités de représentation intellectuelles.
Comment, en effet, réaliser que le « moi » est une simple partie émergée
d’un inconscient dont nous ignorons presque tout (Freud) ? Comment
réaliser que nous vivons dans un univers à quatre dimensions où le temps
n’est pas séparable de l’espace (Einstein) ? Comment réaliser que les
électrons qui gravitent autour des noyaux de nos atomes constituant
notre corps ont une probabilité non nulle d’être aussi à l’autre
extrémité de l’univers (Bohr) ? Comment réaliser les essences qui
fondent notre réalité objective (Husserl) ? Comment réaliser que
certains infinis sont objectivement plus grands que d’autres (Cantor) ?
Et enfin comment réaliser et peindre les forces formatrices qui
sous-tendent les formes objectives (Kandinsky) ? Les ouvrages d’Alice
Bailey datent aussi de cette époque.
Ces questions se résument à un seul constat : l’intelligence humaine
est devenue capable d’interroger une surréalité que notre conscience
actuelle est incapable de saisir. C’est le défi des cinq siècles en
cours que d’élargir notre vision du monde à cette surréalité, jusqu’à
considérer un jour qu’il s’agit de quelque chose de normal.
(...)
Le transhumanisme représente le summum narcissique du processus d’involution.
L’homme se prend alors « légitimement » pour dieu et cherche à réaliser
les qualités naguère attribuées à la divinité : l’immortalité,
l’omniscience et la toute-puissance.
Le post-humanisme représente, au
contraire, une époque de conversion : le moment où la conscience humaine
collective se tourne vers l’Immense, le moment où elle pénètre « corps
et âme » dans le mystère du surréel. Alors la création ne viendra plus
du sujet narcissique. Elle sera le fruit inattendu de la spontanéité de
la première pensée et du geste surgissant.
Covid-19(84) ou La vérité (politique) du mensonge sanitaire : le fascisme numérique
Michel Weber, Professeur belge, adjoint de philosophie à l’Université du Saskatchewan (Canada)
La
crise de la Covid-19 n’est pas sanitaire, mais politique, et aucune des
mesures liberticides n’est fondée scientifiquement ; par contre, la
Covid-19 rend évidente la corruption complète du corps politique et de
ses appendices médiatiques et scientifiques. Cette corruption reflète la
crise du capitalisme financier, et la volonté des oligarques de
détruire la démocratie représentative. Le système politique qui se met
en place est bien totalitaire, c’est-à-dire que toutes les facettes de
la vie des citoyens seront pilotées par une structure idéologique
mortifère ne différenciant plus les sphères privées et publiques. Ce
totalitarisme sera fasciste, sanitaire et numérique.
1. La vérité (politique) du mensonge sanitaire
L’événement
Covid-19 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Tout et son contraire ont
été affirmés, parfois par les mêmes personnes, et au même moment. Ces
contradictions pures et simples ont été fréquemment aggravées par
l’usage de paradoxes, c’est-à-dire d’énoncés indécidables. Orwell a très
bien décrit le processus de corruption en parlant de « double pensée »,
nous allons le voir.
Démêler l’écheveau nécessite donc de simplifier le récit. Il y a bien sûr un prix à payer pour ce faire ; il est double.
D’une
part, il faut ignorer ce qui semble accessoire ; d’autre part, il
importe de remettre l’événement dans son contexte historique, à la fois
au sens perspectif (la crise culturelle qui se noue en 1968) et
projectif (les conséquences politiques immédiates) [1].
1.1. La corruption des corps politique, médiatique et scientifique
Les
faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont
pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur
infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une
avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans
une famille ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin [2].
Marcel Proust
La gestion politique ubuesque de l’épidémie peut se définir par cinq traits plus ou moins hypothétiques.
1.1.1. L’impréparation
Le
gouvernement a été complètement pris au dépourvu, alors que la réaction
de la Chine, connue de tous dès janvier, avait été prompte et radicale.
En bref : les autorités chinoises ont réagi comme s’il s’agissait d’une
attaque bactériologique, pas d’une épidémie saisonnière (et personne
n’a jusqu’ici apprécié toutes les implications de cette réaction).
De
plus, les scénarios de pandémie sont très répandus depuis une douzaine
d’années, surtout après la crise de 2009 (H1N1), et ce tout spécialement
chez les militaires et dans les fondations privées, grâce à
l’infatigable zèle de B. Gates, qui en a fait son unique cheval de
bataille philanthropique depuis 2007 — sans trop se cacher d’ailleurs du
fait qu’il s’agit du meilleur investissement (!) qu’il ait jamais fait [3].
Cette impréparation est sans nul doute possible le résultat de cinquante ans de néo-libéralisme. Mais pas que.
1.1.2. L’incompétence des uns et l’expertise des autres
Alors
que la chose politique est abandonnée aux universitaires, ceux-ci ne
sont que très rarement à la hauteur de la tâche qui leur est dévolue, et
ils se contentent de travailler à la prolongation de leur mandat. Du
reste, dans une technocratie qui ne dit pas son nom, on comprend la
nécessité de s’en remettre aux experts, dont l’objectivité est
proverbiale.
En
fait, l’incompétence, c’est-à-dire l’absence d’expertise adéquate, ne
devrait être aucunement problématique en politique : seul le sens commun
devrait importer. S’il faut être un expert pour gouverner, nous ne
sommes plus en démocratie (représentative), ou même en particratie (pas
représentative), mais en technocratie ou en technocrature. Le recours
aux experts est donc intrinsèquement problématique. Il l’est d’autant
plus qu’il suffit de connaître l’(ex-)employeur de l’expert, ou son
bailleur de fonds, pour déduire par avance la nature de ses conclusions.
1.1.3. La corruption
Le
niveau de corruption des acteurs politiques est un secret de
polichinelle. On se permet même, dans notre monarchie bananière, de rire
sous cape des malversations qui finissent par être médiatisées dans
d’autres pays, de préférence situés plus au Sud. (Et cela vaut bien sûr
pour le regard que la Flandre porte sur la Wallonie.)
Dans
le cas qui nous occupe, il est bien clair que les intérêts économiques
de certains ont pris le pas sur la gestion du bien commun. La
commercialisation des masques, le non-investissement dans les hôpitaux
entre la première et la seconde vague, ou encore la destruction de
l’horeca et des petits indépendants au profit des multinationales sont
frappants.
On
le sait depuis Platon (ce sont les Grecs qui ont créé la démocratie
participative) et, plus particulièrement, depuis Machiavel (1532) [4],
le pouvoir est recherché par les corrompus en puissance, et exercé par
des corrompus de fait. Du reste, répétons-le, les conclusions de
l’expert se trouvent en germe dans la source de financement de ses
études.
1.1.4. La coercition en toute illégalité
L’imbroglio
gouvernemental et institutionnel belge a donné naissance à un fort
curieux proto-totalitarisme : un gouvernement en affaire courante s’est
octroyé les pouvoirs spéciaux pour euthanasier le législatif,
instrumentaliser le judiciaire, et instaurer un État d’urgence
(sanitaire) qui ne dit pas son nom. Les mesures et règlements
liberticides ne se comptent plus — à commencer par le confinement dans
les maisons de repos, la généralisation du confinement à domicile, la
distanciation « sociale », le port du masque, etc.
Avec
ce cortège de mesures liberticides, illégitimes, inefficaces et
illégales, on obtient, de fait, la fin de l’État de droit. Le bien
public est devenu privé, c’est-à-dire source de profit. Et l’intimité de
la sphère privée est exposée au regard numérique (et parfois à la
vindicte) de tous.
1.1.5. La communication pathogène
La
communication des « responsables », et particulièrement sa composante
absurde, constitue la vraie signature de cette crise, durant laquelle
les créatures politiques ont épuisé toutes les formes pathologiques du
langage. Épinglons les suivantes :
- l’évitement : ignorer les objections, diffracter les questions, refuser le dialogue sous quelque forme que ce soit ;
- l’indignation : faire l’innocent, plaider la bonne foi, le dévouement au bien commun, l’objectivité scientifique ;
-
le mensonge pur et simple : le masque protège des virus et pas
seulement des infections bactériennes ; le vaccin est efficace contre
une maladie qui n’est pas immunisante ; une seconde vague est inévitable
;
- la censure : refuser l’accès à une information ou à une conférence de presse, rendre les processus décisionnels opaques ;
- la propagande : gonfler de vraies informations partielles et partiales ;
- le slogan : le « je sauve des vies » à toutes les sauces ;
- la désinformation : propager de fausses informations ;
-
l’usage de la contradiction : soutenir deux propositions
contradictoires (le masque est inutile ; vous devez porter un masque) ;
-
l’usage du paradoxe : utiliser des énoncés indécidables tels que :
l’épidémie progresse sans empirer ; le monde d’après sera, et ne sera
pas, différent ; seuls, ensemble ; soyez solidaires (dans la solitude) ;
faites confiance aux responsables (!) ; informez-vous (dans les médias)
; vaccinons tout le monde pour contrôler la démographie ; imposons la
monnaie digitale pour permettre aux pauvres d'épargner ; instaurons un
gouvernement mondial démocratique ; ce que je vous dis est faux…
Tout ceci procède de l’effort pour rendre l’autre fou (Searles 1959) [5].
Orwell décrit ce processus de corruption en parlant de « double
pensée » : prendre consciemment et inconsciemment ce que l’on sait être
faux pour vrai — à moins que les circonstances n’exigent que l’on se
rende compte que ce faux vrai est un vrai faux. Cliniquement, on demande
aux acteurs d’être d’efficaces psychotiques.
En
somme, la communication gouvernementale, servilement relayée par les
médias et aiguillée (en l’endossant) par les experts en sciences
médicales, a entretenu la peur et, surtout, l’angoisse. La peur est un
sentiment naturel positif, car mobilisateur : face à une menace
palpable, l’individu réagit par la fuite ou le combat. Au contraire,
l’angoisse est paralysante : on pressent une menace invisible, sans
savoir comment réagir… La communication absurde vise à stupéfier par
l’angoisse, pas à perdre par la peur. Le dispositif est beaucoup plus
efficace : la peur demande à être orientée afin qu’elle ne nuise pas au statu quo
social ; l’angoisse paralyse les citoyens qui acceptent passivement
tout ce qui leur est imposé, à commencer par les modifications
comportementales apparemment bénignes comme la distanciation sociale ou
le port du masque.
La
banqueroute politique signale en outre deux faillites supplémentaires :
celle des médias et celle des experts scientifiques, et tout
particulièrement des médecins. Les médias ont donné une ampleur inouïe à
la communication absurde et au sensationnalisme morbide des politiques
et des scientifiques. Il y a eu cooptation des uns par les autres. On
peine à trouver un dissident dans la classe politique ; il en existe peu
dans le monde scientifique et, s’ils s’expriment dans les médias, c’est
généralement de manière très pondérée ; rares sont les journalistes qui
ont fait leur travail, Alexandre Penasse constituant une notable
exception.
Tous
se sont couverts d’ignominie en participant, activement ou passivement,
à cette mascarade ; tous devraient se voir sévèrement sanctionner.
1.2. La crise du capitalisme biocidaire
C'est le commencement qui est le pire, puis le milieu, puis la fin ; à la fin, c'est la fin qui est le pire [6].
Samuel Beckett
En
amont de cette sclérose politique, médiatique et scientifique, on
trouve l’influence des mondes bancaire et pharmaceutique, qui sont mus
par deux perspectives : d’une part, la maximisation de leur emprise sur
la société (et donc de leur chiffre d’affaires) ; d’autre part, la
gestion de la crise globale systémique annoncée clairement dès 1968, et
dont la chronologie a été esquissée en 1972 par Meadows et Kukla :
l’épuisement des ressources, le dérèglement climatique, et la
progression de la pollution finiront par avoir raison de la société de
consommation et de la démocratie représentative.
1.2.1. La stratégie du choc
De
ce point de vue, l’utilisation de la stratégie du choc, avancée par
Hayek en 1944 et Friedman en 1962, puis identifiée par Klein en 2007,
s’impose comme une évidence si on veut anticiper le chaos.
Le terme « Blitzkrieg », qui est apparu en 1935 dans la revue Die Deutsche Wehr,
est très parlant dans ce contexte (Fillon s’en est souvenu en 2017) :
une guerre de pénétration rapide et de destruction massive. Ici, il
s’agit de la destruction des acquis sociaux imputables au Conseil
national de la résistance (1944).
Comment ?
En instrumentalisant une crise réelle ou ressentie, naturelle ou
culturelle, afin de modifier profondément l’espace social, tandis que
celui-ci est paralysé. Que la crise soit réelle, ou simplement mise en
scène, que son origine soit naturelle, ou le produit d’une machination,
ne change finalement pas grand-chose au traumatisme et à la possibilité
de son usage. Il importe simplement d’exploiter systématiquement l’état
de peur et de désorientation qui accompagne les moments de grand choc et
de crise.
On retrouve, mutatis mutandis,
une idée également funeste que l’on doit à Schumpeter (1911) : la
destruction créatrice (« schöpferische Zerstörung »), qui croit pouvoir
transposer en économie politique une certaine métaphysique hindoue
probablement ignorée de Kondratieff.
1.2.2. L’élection multinationale
Par
contre, il faut comprendre, une fois pour toutes, que les élus ne
représentent pas le peuple, mais les oligarques et leurs
multinationales. Le programme néolibéral est en effet très simple :
dissoudre les États afin de privatiser toutes leurs fonctions. Tant
qu’un gouvernement mondial (privatisé) n’est pas implémentable, on peut
se contenter de transformer les États en coquilles vides. Ce programme
ne constitue qu’une réappropriation du fascisme tel que Mussolini l’a
défini, et mis en pratique, dès 1922–1925, à l’aide de la vision
économique de Vilfredo Pareto : l’entreprise privée est, par définition,
beaucoup plus efficace que l’État. Puis vinrent les politiques
similaires des Nazis en 1934–1937, qui subirent une légère obsolescence
de 1944 à 1972 (les « trente glorieuses »).
En
fait, Hayek, le chantre du néolibéralisme, stipule très clairement, et
ce dès 1944, la stratégie à adopter : seule une infiltration progressive
des institutions civiles et politiques permettra la destruction de la
menace communiste et de sa cinquième colonne. Vingt ans plus tard, le 30
septembre 1965, il arriva à ses fins avec le coup d’État de Suharto,
qui coûta la vie à plus d’un million de communistes (certains parlent de
3 millions d’exécutions arbitraires), et permit une première mise en
place du dispositif néolibéral. C’était en quelque sorte la répétition
du renversement d’Allende par Pinochet, perpétré le 11 septembre 1973.
Le
remplacement des gouvernements par des multinationales a été quantifié
très tôt, e. a., par Stephen Hymer (1960) et David C. Korten (1995) [7].
Il est devenu évident avec la politique d’intégration européenne et,
surtout, la multiplication des traités et autres partenariats
transatlantiques de commerce et d'investissement (comme le
« Transatlantic Trade and Investment Partnership »).
C’est
du reste le fil rouge de la littérature « cyberpunk » dont le
représentant le plus fameux est sans doute Ph. K. Dick (1955) [8], qui a offert les scénarios de Blade Runner (1982), Total Recall (1990), Minority Report (2002), etc.
1.2.3. La grande bifurcation : 1968–1973
Tout
se joue donc dans les années 1968–1973 : le dévoilement des enjeux
civilisationnels comme leur effacement, c’est-à-dire, d’une part, la
prise de conscience de la crise globale qui ne pourrait être conjurée
qu’en renonçant au capitalisme industriel et financier ; et, d’autre
part, la reprise en main de l’agenda politique par ce dernier avec des
figures telles que Suharto et Pinochet, puis M. Thatcher (1979), R.
Reagan (1981) et Helmut Kohl (1982).
Rappelons
que le Club de Rome est créé en avril 1968 par (e.g.) Aurelio Peccei,
Alexander King, et David Rockfeller. Il ne s’agit pas de hippies ou de
membres désabusés de la classe moyenne (le public de « mai 68 »), mais
d’oligarques se posant très sérieusement la question des limites de la
croissance économique que le capitalisme financier exige.
Il
faudrait également insister sur le travail de sape de Pompidou, élu à
la présidence française en 1969, et le bref espoir instillé par Sicco
Mansholt à la Commission européenne en 1972–1973.
1.3. Le totalitarisme fasciste numérique
Si vous désirez une image de l'avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement [9].
George Orwell
En
amont de la corruption complète du corps politique et de ses appendices
médiatiques et scientifiques, nous avons trouvé la crise du capitalisme
financier et la volonté des oligarques de remodeler en profondeur la
démocratie (représentative) de marché. En aval, nous découvrons, sans
surprise, un nouveau totalitarisme fasciste, bien plus pernicieux que
ses ancêtres du XXe siècle, car numérique.
1.3.1. Le totalitarisme
« Totalitarisme »
désigne le système politique qui prétend gérer toutes les dimensions de
la vie citoyenne, publiques comme privées. Rien ne doit lui échapper,
en droit comme en fait. En théorie, le totalitarisme se dessine dans les
religions institutionnalisées, qui ont toujours tendance à vouloir
imposer les mêmes principes à la vie publique comme à la vie privée.
En
pratique, il a fallu attendre l’usage politique des médias pour
l’imposer. Les premières impressions de Gutenberg datent de 1454. On
sait l’importance de l’édition pour la propagation des idées de la
Renaissance et de la Réforme et, de là, pour l’émergence d’une nouvelle
forme de conscience (voir les travaux de Herbert Marshall McLuhan,
Elizabeth Lewisohn Eisenstein et Jack Goody). La dissémination, la
préservation et la standardisation du savoir scientifique ne pouvaient
qu’infléchir le sens commun et heurter l’autorité ecclésiastique. C’est
surtout le succès de la presse écrite qui casse le monopole de
l’information que détenait l’Église et qui porte à bout de bras les
revendications socialistes : sa période faste (1850–1950) coïncide avec
l’émergence d’une conscience de classe claire et distincte (le Manifeste
communiste date de 1848 ; le retour de la droite extrême date de 1933
avec la rechute des années septante : Pinochet, 1973, Thatcher, 1979,
Reagan, 1981).
L'âge
d'or de l’écrit cède progressivement la place à deux nouveaux médias :
la radio (la BBC est fondée en 1922) et la télévision, dont l’usage
explose aux États-Unis dès 1949. La presse fut libératrice, la radio
— et surtout la télévision — allaient devenir rapidement la chasse
gardée de la propagande politique et économique (une distinction qui ira
en s’amenuisant) [10]. On le sait, l’écrit est plus imperméable à la rhétorique que la parole.
En
1984, Apple commercialise le Macintosh qui annonce la généralisation
des ordinateurs personnels. L’univers multimédia se développe vers la
fin des années 1980 avec l’apparition des CD-ROM et la possibilité de
gérer différents médias simultanément (musique, son, image, vidéo). La
Toile ou World Wide Web naît en 1991 (son ancêtre direct, l’ARPANET,
date de 1969) ; elle semble annoncer le déclin du livre et la marche
forcée vers la numérisation de tous les médias. La souplesse de
l’interactivité de la Toile et surtout sa faculté de donner la parole à
toutes et à tous (ce qui nécessite quand même une familiarité avec
l’outil informatique, l’accès à un ordinateur relié à une ligne à haut
débit et un fournisseur d’électricité), pourraient cependant être remise
en question lors du passage au Web 3.0 : sous prétexte de l'épuisement
des adresses (IPv4), de lutte contre les « fakes news », la
pornographie, etc., il s'agirait de contrôler le contenu des sites ;
sous prétexte de sauver la presse professionnelle, etc., l'entoilage
deviendrait beaucoup plus coûteux.
La
mobilophonie fait son apparition en Europe en 1994 et elle s’est très
rapidement imposée comme un élément indispensable au quotidien de la
plupart des consommateurs. La conclusion est simple : avec l’explosion
de l’utilisation de la Toile et l’accroissement de la pression
publicitaire, nous sommes submergés d’informations de moins en moins
utiles et de plus en plus téléguidées par des médias « à l’ordre [11] ».
1.3.2. Le fascisme
Le
« fascisme » est un totalitarisme de droite, c’est-à-dire conçu par, et
pour, les oligarques. On peut en effet imaginer un totalitarisme de
gauche qui favoriserait le bien commun. C’est du reste de cette manière
que les religions institutionnalisées se présentent.
L’histoire
du totalitarisme fasciste est supposée connue ; elle se résume à la
prise de pouvoir des oligarques industriels et financiers par
l’intermédiaire d’un lampiste plus ou moins allumé (ce qui permet aux
commanditaires de tirer leur épingle du jeu si l’affaire tourne mal). À
partir de 1921, la droite extrême progresse partout en Europe : en
Italie (Mussolini accède au pouvoir en 1922), en France (avec la
création en 1922 de la Synarchie, suivie plus tard par la Cagoule), en
Allemagne (le Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, en
gestation depuis 1918, s’organise en 1920 ; Hitler écrit Mein Kampf en
1924 ; il est publié en 1925), Salazar assied sa dictature en 1932–1933,
et Franco pilote la guerre civile déjà en 1934. De 1967 à 1974, il y
aura aussi la dictature des colonels en Grèce. (Voir, par exemple,
Lacroix-Riz 2006 [12].)
A contrario,
le totalitarisme communiste gère toutes les composantes de la vie,
privées comme publiques, pour le bien commun. Quoi qu’on en pense, ses
méthodes sont donc nécessairement différentes. Ce danger étant
définitivement écarté — ce qui ne veut pas dire que l’idéal communiste
ait été oblitéré —, on peut se contenter de s’inquiéter du fascisme.
1.3.3. Historiquement
Nous sommes dans une configuration totalitaire depuis déjà de longues années, c’est-à-dire qu’un système, qu’une idéologie, prétend gérer tous
les aspects de la vie : la technoscience constitue un tel système ; le
capitalisme, renommé néolibéralisme, est un tel système ; la
globalisation est un tel système ; l’État d’urgence permanent qui
s’enracine dans la guerre contre la terreur datant de 2001 en était la
dernière péripétie jusqu’à ce que la Covid-19 apparaisse.
La
question de l’essence totalitaire de la technoscience, voire de la
technique elle-même, est très ancienne. Elle remonte au moins, en
Occident, aux philosophes cyniques ; elle est pressentie au XIXe siècle
par Thoreau (Walden, 1854) et Butler (Note-Books, 1863) et puis réactivée, après la « grande guerre », par Spengler (Der Untergang, 1919) et, dans une certaine mesure, par Freud (Das Unbehagen, 1929). Mise en scène par Lang (Metropolis, 1927), Huxley (Brave New World, 1932) et Chaplin (Modern Times, 1936), sa conceptualisation se dessine chez Mumford (Technics and Civilization, 1934), Lovejoy (Primitivism, 1935), Heidegger, (« Die Frage nach der Technik », 1949, in Vorträge und Aufsätze, 1954), Arendt (The Origins of Totalitarianism, 1951) et Anders (Nihilismus und Existenz, 1946 ; Die Antiquiertheit des Menschen, 1956). Avec l’œuvre d’Ellul (La Technique, 1954), de Kohr (The Breakdown of Nations, 1957), de Carson (Silent Spring, 1962), de Schumacher (Small is Beautiful, 1973), d’Illich (La Convivialité, 1973), et de Gorz (Écologie et politique,
1975), la question de la technique acquiert une vitesse de croisière et
une actualité qui ne s’est plus démentie — même si elle demeure un peu
confidentielle.
Les deux textes décisifs sont pourtant littéraires :
Orwell(Nineteen Eighty-Four, 1949) et Huxley (Island, 1962). Ce sont eux qui offrent l’accès le plus immédiat et le plus sûr aux enjeux [13].
La
vraie-fausse crise sanitaire de 2020 est le prétexte (au sens de N.
Klein) utilisé pour dépouiller définitivement les peuples des acquis
sociaux et politiques concédés après 1945. Elle touche donc différemment
les pays selon qu’ils sont développés ou pas. Dans les pays riches, il
s’agit de détruire les acquis sociaux et de mettre la population au
pas ; dans les pays pauvres, c’est une logique néocoloniale qui est à
l’œuvre. C’est ainsi, alors que l’épidémie saisonnière est finie, que
des règlements (de plus en plus) absurdes prolongent la terreur
sécuritaire. De la même manière que le gouvernement français n’a pas
hésité, le 27 mars 2020, à interdire le traitement des patients atteint
de la Covid-19 par hydroxychloroquine (produite en Inde), il continue à
déterminer politiquement ce qui est de ressort du médecin (même pas de
celui de l’Ordre des médecins).
1.3.4. Conformisme et atomisme
Au
nombre des outils requis pour comprendre les enjeux du totalitarisme
numérique, on trouve les concepts de conformisme et d’atomisme, qui
s’imposent dès les débuts de la révolution industrielle et de la
démocratie représentative, et sont esquissés chez Hobbes (1651),
Saint-Simon (1803), Prouddhon (1840) et, surtout, Tocqueville (1835) [14].
L’ère
thermo-industrielle est celle du machinisme, c’est-à-dire de la
standardisation des produits et de l’organisation scientifique du
travail. Alors que l’outil dépend de la morphologie humaine, la machine
demande à l’ouvrier de s’adapter à son mécanisme. Le pouvoir de la
machine est ainsi le pouvoir du conformisme : en amont, l’ouvrier doit
être calibré, dompté, géré comme une ressource ; et, en aval, le
consommateur doit accepter l’uniformisation de ses habitudes de vie, de
ses goûts alimentaires, de ses vêtements, de ses idées, de ses désirs,
etc. Les rendements d’échelle sont à la mesure des espérances de
quelques-uns, et du désespoir de tous les autres.
Le
conformisme, forme cardinale de violence symbolique, se manifeste donc
par l’infantilisation et l’indifférenciation des personnes, la
dépolitisation des citoyens, et la standardisation des consommateurs,
qui constituent autant de précieuses muselières pour paralyser les corps
et amnésier les esprits.
D’autre part, l’atomisme constitue le fondement du libéralisme (Mandeville 1714, avant Smith 1776) [15] ;
il équivaut à briser toutes les solidarités, et à entretenir la guerre
de tous contre tous, parfois appelée compétitivité. Le marché de
concurrence pure et parfaite se définit en effet par les
caractéristiques suivantes : l’atomicité de l’offre et de la demande,
l’homogénéité du produit, la transparence du marché, et la mobilité
parfaite (libre entrée et libre sortie et absence d’obstacles à la
circulation des facteurs de production).
En
scellant l’alliance entre capitalisme et technoscience, la révolution
industrielle établit les deux principes fondamentaux du capitalisme
mondialisé, l’atomisation des individus sous prétexte de les libérer, et
leur conformisation afin de machiner le meilleur des mondes possibles.
En d’autres termes, les conditions de possibilité de la culture, qui
sont celles de la vie authentique, sont deux fois niées. D’une part, le
conformisme se substitue à l’individuation (à ne pas confondre avec
l’individualisme) ; d’autre part, l’atomisme remplace la solidarité. Or,
sans solidarité, il est impossible de s’individuer, d’endosser son
destin, de dépasser les contingences de sa naissance ; et, sans
individuation, la solidarité reste lettre morte.
Cette
double négation est toutefois rendue acceptable par une inversion
spectaculaire (aussi au sens de Guy Debord) des pôles privé et public :
on prend l’atomisme (c’est-à-dire l’absence de solidarité) pour de la
liberté, et le conformisme (c’est-à-dire l’absence de projet personnel)
pour de la solidarité (tout le monde désire la même chose). On obtient,
en somme, la guerre des clones, de ceux qui montrent leurs derrières
(calibrés) en public, et parlent de politique (néolibérale) en privé.
Les conséquences sont radicales : infantilisation, déculturation,
dépolitisation, dissociété, Terreur (1792, très précisément au moment où
Sade écrit), c’est-à-dire la paralysie par l’angoisse.
1.3.5. Des sociétés disciplinaires aux sociétés du contrôle
Le
passage au totalitarisme numérique et sanitaire peut se comprendre
comme la transformation des sociétés disciplinaires (Foucault 1976),
essentiellement névrotiques, en sociétés du contrôle (Deleuze 1990),
fondamentalement psychotiques [16].
L’ère
thermo-industrielle est celle du machinisme et des institutions
disciplinaires qui lui sont propres : famille, école, église, caserne,
usine, hôpital, asile d’aliénés, prison, maison de repos. Tous (ou la
plupart de) ces lieux d’enfermement physique (mais aussi mental) peuvent
être avantageusement remplacés par un dispositif plus souple de
contrôle mental (mais aussi physique) : le numérique.
La
technologie — et tout particulièrement les dispositifs associés à la
5G — permet maintenant une surveillance panoptique totale : le traçage
de tout le trafic internet (« big data ») et des déplacements physiques
(géolocalisation), la disparition des transactions en liquide,
l’assignation à résidence (bracelet électronique, télétravail,
cyber-enseignement, achats en ligne, télé consultations) etc.
Le
totalitarisme numérique pousse encore plus loin la synergie entre
conformisme et atomisme en remplaçant tout ce qui restait d’humain — et
donc de corporel, d’immédiat, de qualitatif et d’aléatoire — dans le
machinisme par le virtuel, le médiat, le quantitatif et
l’algorithmiquement nécessaire. Il n’y a pas plus conforme que celui qui
dépend entièrement du numérique pour vivre ; il n’y a pas plus atomisé
non plus. Du reste, la psychose hygiéniste institue un nouveau
puritanisme qui exige une vie sans contact. Après avoir disposé de la
chair du monde, le technocapitalisme entend exploiter sans complexes la
chair humaine.
La
forme la plus aboutie de totalitarisme fasciste exige finalement
l'interdiction des relations sexuelles. D'abord, parce qu'elles
constituent le sanctuaire de la vie privée. Et que la sphère privée doit
être dissoute dans la sphère publique. Ensuite car l'individu s'y
ressource à l'occasion d'un contact avec l'éternel mystère de la
naissance et de la mort. Même la stupeur anxieuse est susceptible de
s’effacer devant l’unisson des cœurs. Et que ce ressourcement s'opère
dans un état d'inconscience qui échappe à l'emprise des tiers.
(Inconscience ne voulant pas dire irrationalité.) Enfin, car la nature
du pouvoir est de jouir de la souffrance infligée à autrui ou, a minima,
de l'interdit qui pèse sur sa jouissance. Orwell est très clair à ce
propos :
Nous
avons coupé les liens entre l'enfant et les parents, entre l'homme et
l'homme, entre l'homme et la femme. Personne n'ose plus se fier à une
femme, un enfant ou un ami. Mais plus tard, il n'y aura ni femme ni ami.
Les enfants seront à leur naissance enlevés aux mères, comme on enlève
leurs œufs aux poules. L'instinct sexuel sera extirpé. La procréation
sera une formalité annuelle, comme le renouvellement de la carte
d'alimentation. Nous abolirons l'orgasme. Nos neurologistes y
travaillent actuellement. Il n'y aura plus de loyauté qu'envers le
Parti, il n'y aura plus d'amour que l'amour éprouvé pour Big Brother [17].
1.4. Conclusion
En
conclusion, il faut bien comprendre que la crise de la Covid-19 n’est
pas sanitaire, mais politique, et qu’aucune des mesures liberticides
n’est fondée scientifiquement. Par contre, elle met en évidence la
corruption complète du corps politique et de ses factotums médiatiques
et scientifiques, et, plus particulièrement, leurs allégeances envers
les puissances de l'argent et leur projet totalitaire. La crise
constitue à la fois le symptôme de la faillite de la démocratie
représentative, et le prodrome du retour d’une gouvernance uniquement
respectueuse des droits du capital. Plus encore qu’Orwell (1949), c’est
Terry Gilliam (1985) qui vient à l’esprit de celui qui chercherait à
contraster le cauchemar politique avec l’absurdité fictionnelle.
Ces
évidences se retrouvent très précisément dans l’intervention d’A.
Penasse (qui a fait, après tout, preuve d’une grande retenue), lui qui
demandait, 15 avril 2020, « quelle légitimité démocratique il y a à
prendre certaines décisions quand la plupart des membres qui décident et
réfléchissent font partie des multinationales et du monde de la
finance ? »
Le
capitalisme est kleptocrate et totalitaire par essence. L’évolution qui
se dessine dans la gestion de la crise Covid-19 dévoile la corruption
de tous les acteurs médiatisés et laisse entrevoir ceux qui, jusqu’ici,
restaient dans l’ombre. Si la population reste confinée dans la terreur,
rien ne viendra s’opposer au régime le plus barbare de tous les temps.
Si elle se réveille, non seulement le règne de l’angoisse sera révoqué,
mais il ne sera plus possible d’agir par la force non plus (les
« gardiens de l’ordre » sont toujours issus du peuple, et leur servilité
n’est jamais acquise une fois pour toutes). La dernière option des
oligarques sera alors, comme d’habitude, le génocide. Toutes les guerres
du XXe siècle étaient d’abord des guerres menées par l’aristocratie et
la haute bourgeoisie contre le bas peuple. Mais l’irruption d’une vraie
pandémie ne serait bien sûr pas à exclure…
Reste
la question de savoir pourquoi les citoyens acceptent de se faire
maltraiter par les « responsables politiques ». Pourquoi acceptent-ils
de subir un pouvoir pervers ? La réponse se trouve dans l’analyse de la
relation que le prédateur impose à sa proie. Précisons en deux mots les
modalités qui ont été identifiées dans le cadre de l’inceste, de la
logique concentrationnaire, ou de ce qui a été appelé tardivement (1973)
le syndrome de Stockholm.
Il
existe un lien vital entre le prédateur et sa proie : c’est le
prédateur qui nourrit la proie, c’est lui qui lui offre un récit pour
cadrer son malheur, c’est encore lui qui, parfois, fait un geste qui
semble bienveillant. La proie refuse donc instinctivement d’ouvrir les
yeux sur le mécanisme prédateur. Ferenczi (1932) l’a bien compris :
l'enfant traumatisé, physiquement et psychiquement plus faible, se
trouvant sans défense, n'a d'autre recours que de s'identifier à
l'agresseur, de se soumettre à ses attentes ou à ses lubies, voire de
les prévenir, et finalement y trouver même une certaine satisfaction.
Aimer son bourreau, dont on dépend physiquement, symboliquement, et
affectivement, devient une condition de survie, mais aussi un piège
psychotique [18].
Dans
le cas qui nous occupe : comme cette servitude volontaire offre les
avantages que l’on peut se payer, et les espoirs que l’on veut bien
conserver, la plupart des citoyens croient pouvoir continuer, après le
« confinement », à confondre rêve et réalité. Il leur faudra plutôt
choisir entre rêve et cauchemar.
Michel
Weber est professeur adjoint de philosophie à l’Université du
Saskatchewan (Canada). Il a publié plus de cinquante ouvrages
scientifiques, dont une quinzaine de monographies. Il pratique également
la thérapie psychocorporelle ayurvédique (Cabinet Metabyanga) et le
coaching existentiel (Centre Tonaki).
[1] Une première version de ce chapitre a été publiée sur le site de Kairos, le 11 09 2020.
[2] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. T. I. Du côté de chez Swann [1913]. Édition présentée et annotée par Antoine Compagnon, Paris, Gallimard, 1988.
[3] Bill Gates, « The Best Investment I’ve Ever Made », The Wall Street Journal, Jan. 16, 2019.
[4] Nicolas Machiavel, Le Prince. Traduction française [1532], Paris, Éditions Gallimard, 1980.
[5]
Harold F. Searles, « The Effort to Drive the Other Person Crazy—An
Element in the Aetiology and Psychotherapy of Schizophrenia », British Journal of Medical Psychology, XXXII/1, 1959, pp. 1-18.
[6] Samuel Beckett, L'Innommable, Paris, Les Éditions de Minuit, 1953, p. 222.
[7] Stephen Hymer, The International Operations of National Firms: A Study of Direct Foreign Investment. PhD Dissertation [1960], published posthumously, Cambridge, Mass., The MIT Press, 1976 ; David C. Korten, When Corporations Rule the World [1995]. 20th anniversary edition, Oakland, Berrett-Koehler Publishers, Inc., 2015.
[8] Philip K. Dick, Solar Lottery, New York, Ace Books, 1955.
[9] George Orwell, Nineteen Eighty-Four [1949]. Introduction by Thomas Pynchon, London, Penguin Books, 2003, p. 307.
[10] Il
faut à ce propos rapprocher la naissance de la propagande et celle de
la psychologie : « The Committee on Public Information » ou « Creel
Committee », a été créé par Woodrow Wilson en 1917.
[11] « Imaginez,
lance l’universitaire américain Robert McChesney, que le gouvernement
prenne un décret exigeant une réduction brutale de la place accordée aux
affaires internationales dans la presse, qu’il impose la fermeture des
bureaux de correspondants locaux, ou la réduction sévère de leurs
effectifs et de leurs budgets. Imaginez que le chef de l’Etat donne
l’ordre aux médias de concentrer leur attention sur les célébrités et
les broutilles plutôt que d’enquêter sur les scandales associés au
pouvoir exécutif. Dans une telle hypothèse, les professeurs de
journalisme auraient déclenché des grèves de la faim, des universités
entières auraient fermé à cause des protestations. Pourtant, quand ce
sont des intérêts privés en position de quasi-monopole qui décident à
peu près la même chose, on n’enregistre pas de réaction notable. » (Columbia Journalism Review, janvier-février 2008, cité par Serge Halimi, Le Monde diplomatique, oct. 2009)
[12] Annie Lacroix-Riz, Le Choix de la défaite. Les élites françaises dans les années 1930, Paris, Éditions Armand Colin, 2006
[13] Voir, par exemple, M. Weber, De quelle révolution avons-nous besoin ?, Paris, Éditions Sang de la Terre, 2013.
[14] Saint-Simon, Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains [1803], Paris, Presses Universitaires de France, 2012 ; Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1835], Paris, Robert Laffont, 1986.
[15] Mandeville, The Fable of the Bees or Private Vices, Public Benefits [1714], Oxford, At the Clarendon Press, 1924 ; Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations [1776], Paris, Gallimard, 1976.
[16] Michel Foucault, Histoire de la sexualité. I, La Volonté de savoir ; II, L’Usage des plaisirs ; III, Le Souci de soi [1976], Paris, NRF Éditions Gallimard, 1984 ; Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », L’Autre journal, n°1, mai 1990.
[17] George Orwell, Nineteen Eighty-Four [1949], p. 306.
[18]
Sándor Ferenczi, « Die Leidenschaften der Erwachsenen und deren
Einfluss auf Character- und Sexualentwicklung der Kinder. Gehalten im
September 1932 auf dem XII. Internationalen Psychoanalytischen Kongress,
der vom 4. bis 7. September in Wiesbaden stattfand », Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse 19, 1933, pp. 5-15
Pouvons-nous encore nous distinguer par notre intelligence et notre
esprit ? Les hommes doués, talentueux, semblent plus nombreux
qu’auparavant, car les démocraties et la diffusion du savoir par le
déploiement de l’école ont permis à de nombreuses têtes de se former. De
se former, mais non d’émerger. Un lycée, aujourd’hui, connait bien plus
de vérités que Descartes, pense-t-il mieux pour autant, sait-il plus de
chose pour autant, de sa propre tête et avec ses propres neurones, ses
propres mains, sa propre volonté ?
Nous n’avons jamais eu autant de penseurs, de scientifiques, de
musiciens, d’artistes, de créateurs. L’homme qui se démarque se fait
rare, d’autant plus que l’œuvre qui réussit un temps se jauge à ses
bénéfices. Est-ce pourtant celle-là plutôt qu’une autre qui marquera
l’histoire. Est-ce Harry Potter qui survivra à notre siècle, Avengers,
Michel Onfray, Guillaume Musso, et les productions de l’art conceptuel ?
Est-ce là les grands esprits de notre temps ?
Il est d’autant plus
difficile de s’extraire avec intelligence que la médiocrité aime à
rabaisser d’un coup de maillet les têtes réellement originales et
sérieuses. En outre, en philosophie par exemple, les hommes sérieux et
attachés à la vérité s’attachent peu à la gloire et au succès. Ils
n’aspirent pas à vivre de leurs idées, et c’est pourquoi leurs idées
sont libres, non censurées, et que leurs œuvres prennent le temps de
mûrir comme mûrit bon vin.
L’intelligence, en démocratie, est
davantage collective, même si, à bien y regarder, elle a toujours été
ainsi. Il fallut juste un visage à l’esprit d’une époque, mais ce
portrait cache et obstrue tout ceux qui le supportent.
Ces régimes-là, qu’ils
soient nazis, ou même bolchéviques, ont comme point commun, avec le
libéralisme, d’être productivistes, c’est-à-dire de faire tourner des
machines afin de vendre leur production. En résumé, l’URSS stalinien
était un état capitaliste, ce que l’on ne voit pas de premier abord
parce que les moyens de productions étaient la propriété d’un très petit
nombre d’individus, les hauts dignitaires du parti, et que les boites
de conserve fraichement sorties des chaines de l’école confondent une
idéologie globale fictive, le communisme, avec une organisation
productive réelle, le capitalisme.
Aujourd’hui, le totalitarisme est plus subtil, car il est invisible. Il
ne s’agit pas seulement de toute cette force médiatique ou
institutionnelle qui formate les pensées et les conforme à la
consommation, après tout, la religion agissait de la même façon, et nous
sommes relativement libres de nous forger des opinions, mais il nous est
beaucoup plus difficile de sortir des règles sociales et des impératifs
de la société consumériste.
Tout totalitarisme prétend, généralement, agir au nom d’une grande idée
dont la finalité est le bonheur.Aujourd’hui, c’est la santé, la
sécurité. En ce nom, le bien-être, tout est calculé, tout répond à des
algorithmes, tout est mesuré, sondé, technicisé dans un charabia
inaudible et vide d’esprit. On ne meurt plus de vieillesse, on meurt
d’une cause technique, d’un infarctus, d’un cancer, d’un virus… On nous
impose des normes, des alarmes incendies, des aérations, des masques, et
l’on vend tout cela généreusement.
Car il ne faut pas oublier qu’il y a
toujours des marchands derrière chaque mesure. Il y avait des marchands
d’armes pendant la première guerre mondiale, des marchands de four et
de gaz pendant la seconde, et des marchands de médicaments depuis
toujours. Les pharmaciens ont un intérêt à ce que les dépressifs
existent. L’Etat est là pour protéger les citoyens les plus faibles des
citoyens les plus voraces, mais l’Etat tombe dans la malversation quand
les faiseurs de loi sont ceux dont l’intérêt particulier est facilité
par la loi. L’Etat peut être une grande chose comme il peut être un vol
organisé, légalisé et officialisé.
Chacun contrôle chacun : le parent contrôle le prof, le prof l’aptitude
de l’élève à reproduire la bêtise de ses parents ; le patient le
médecin, le médecin l’intestin de son patient ; Twitter le faux pas des
stars, les journalistes l’erreur des politiques, les politiques
l’assiette des citoyens, et le philosophe vient vendre son livre contre
la société de consommation et les médias sur un plateau de télé
propriété d’un patron du CAC40.
En attendant, la monnaie tourne de poche
en poche, la forêt disparait, la terre s’éventre, l’air propre se
raréfie, et regarder la lune deviendra payant au nom de sa sauvegarde.
Et l’on voudrait devenir égoïstement immortel après avoir souillé la
terre de nos petits enfants au nom du seul dieu qui règne en ce monde,
le billet vert.
Pour qui a vécu une vie, l’éternité a comme un goût
d’enfer.