jeudi 20 mai 2021

Un totalitarisme subtil

 


 

Pouvons-nous encore nous distinguer par notre intelligence et notre esprit ? Les hommes doués, talentueux, semblent plus nombreux qu’auparavant, car les démocraties et la diffusion du savoir par le déploiement de l’école ont permis à de nombreuses têtes de se former. De se former, mais non d’émerger. Un lycée, aujourd’hui, connait bien plus de vérités que Descartes, pense-t-il mieux pour autant, sait-il plus de chose pour autant, de sa propre tête et avec ses propres neurones, ses propres mains, sa propre volonté ?

Nous n’avons jamais eu autant de penseurs, de scientifiques, de musiciens, d’artistes, de créateurs. L’homme qui se démarque se fait rare, d’autant plus que l’œuvre qui réussit un temps se jauge à ses bénéfices. Est-ce pourtant celle-là plutôt qu’une autre qui marquera l’histoire. Est-ce Harry Potter qui survivra à notre siècle, Avengers, Michel Onfray, Guillaume Musso, et les productions de l’art conceptuel ? Est-ce là les grands esprits de notre temps ? 

Il est d’autant plus difficile de s’extraire avec intelligence que la médiocrité aime à rabaisser d’un coup de maillet les têtes réellement originales et sérieuses. En outre, en philosophie par exemple, les hommes sérieux et attachés à la vérité s’attachent peu à la gloire et au succès. Ils n’aspirent pas à vivre de leurs idées, et c’est pourquoi leurs idées sont libres, non censurées, et que leurs œuvres prennent le temps de mûrir comme mûrit bon vin.

L’intelligence, en démocratie, est davantage collective, même si, à bien y regarder, elle a toujours été ainsi. Il fallut juste un visage à l’esprit d’une époque, mais ce portrait cache et obstrue tout ceux qui le supportent.

Quoi qu’il en soit, la modernité se caractérise par l’émergence du totalitarisme, c’est-à-dire la volonté de contrôler chaque parcelle de vie et de nature. Le totalitarisme n’est pas un attribut exclusif des régimes fascistes. 

Ces régimes-là, qu’ils soient nazis, ou même bolchéviques, ont comme point commun, avec le libéralisme, d’être productivistes, c’est-à-dire de faire tourner des machines afin de vendre leur production. En résumé, l’URSS stalinien était un état capitaliste, ce que l’on ne voit pas de premier abord parce que les moyens de productions étaient la propriété d’un très petit nombre d’individus, les hauts dignitaires du parti, et que les boites de conserve fraichement sorties des chaines de l’école confondent une idéologie globale fictive, le communisme, avec une organisation productive réelle, le capitalisme.

 


 

Aujourd’hui, le totalitarisme est plus subtil, car il est invisible. Il ne s’agit pas seulement de toute cette force médiatique ou institutionnelle qui formate les pensées et les conforme à la consommation, après tout, la religion agissait de la même façon, et nous sommes relativement libres de nous forger des opinions, mais il nous est beaucoup plus difficile de sortir des règles sociales et des impératifs de la société consumériste.

Tout totalitarisme prétend, généralement, agir au nom d’une grande idée dont la finalité est le bonheur. Aujourd’hui, c’est la santé, la sécurité. En ce nom, le bien-être, tout est calculé, tout répond à des algorithmes, tout est mesuré, sondé, technicisé dans un charabia inaudible et vide d’esprit. On ne meurt plus de vieillesse, on meurt d’une cause technique, d’un infarctus, d’un cancer, d’un virus… On nous impose des normes, des alarmes incendies, des aérations, des masques, et l’on vend tout cela généreusement. 

 

 

 

Car il ne faut pas oublier qu’il y a toujours des marchands derrière chaque mesure. Il y avait des marchands d’armes pendant la première guerre mondiale, des marchands de four et de gaz pendant la seconde, et des marchands de médicaments depuis toujours. Les pharmaciens ont un intérêt à ce que les dépressifs existent. L’Etat est là pour protéger les citoyens les plus faibles des citoyens les plus voraces, mais l’Etat tombe dans la malversation quand les faiseurs de loi sont ceux dont l’intérêt particulier est facilité par la loi. L’Etat peut être une grande chose comme il peut être un vol organisé, légalisé et officialisé.  

Chacun contrôle chacun : le parent contrôle le prof, le prof l’aptitude de l’élève à reproduire la bêtise de ses parents ; le patient le médecin, le médecin l’intestin de son patient ; Twitter le faux pas des stars, les journalistes l’erreur des politiques, les politiques l’assiette des citoyens, et le philosophe vient vendre son livre contre la société de consommation et les médias sur un plateau de télé propriété d’un patron du CAC40. 

En attendant, la monnaie tourne de poche en poche, la forêt disparait, la terre s’éventre, l’air propre se raréfie, et regarder la lune deviendra payant au nom de sa sauvegarde. Et l’on voudrait devenir égoïstement immortel après avoir souillé la terre de nos petits enfants au nom du seul dieu qui règne en ce monde, le billet vert. 

Pour qui a vécu une vie, l’éternité a comme un goût d’enfer.

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(19 octobre 2020)

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