Invitée aux Rencontres de Cara à Genève le 22 octobre 2023,
Eve Bertelle, psychanalyste intégrative et philosophe de cœur,
témoigne
de son vécu de la crise Covid et des compréhensions
qui l’ont menée à
écrire son ouvrage
“Comment une crise nous transforme en profondeur”.
Interviewée par Odile-Myriam Ouachée, médecin généraliste,
Eve Bertelle
trace le chemin d’une guérison possible,
à la fois psychique et
spirituelle…
Jean-Dominique Michel a préfacé le livre d’Eve Bertelle
et
en parle en introduction de la conférence.*
Suite au choc, le début d’une prise de conscience…
Après le choc collectif subi lors de la crise Covid, Eve Bertelle et
Odile-Myriam Ouachée s’interrogent sur le trauma qu’ont laissé ces
événements. Quel impact, non seulement collectif, mais aussi intime et
personnel, cette crise a-t-elle eu sur notre évolution en tant
qu’individus ?
En tant que psychanalyste, Eve Bertelle confie :
J’ai vécu cette période dans un effarement total, une sidération et un mal-être croissant.
Bien que la psychanalyse intégrative propose une approche
contemporaine, normalement en phase avec les problématiques et les
souffrances du monde contemporain, elle témoigne:
J’étais stupéfaite de voir que ma formation de
psychanalyste et tout le travail que j’avais fait avant ne m’était
d’aucune utilité à ce moment là. Cela ne m’aidait ni à vivre ce qu’il se
passait, ni à le comprendre. Ce qui m’a le plus troublée à cette
période, c’est que je sentais le sol stable de la vérité et de la
réalité trembler. Je ne pouvais plus faire la différence entre le vrai
et le faux.
Depuis le début de la crise Covid :
Le monde est en train de devenir fou. Et cette folie-là
m’a saisi de manière poignante, douloureuse. J’ai cherché à
l’apprivoiser. J’ai essayé par petites touches de penser l’impensable.
C’est difficile, c’est douloureux, comme de mâcher des cailloux… Jusqu’à
ce que petit à petit, du sens émerge.
Digérer le trauma vécu afin d’en guérir
À travers ces prises de conscience, Eve Bertelle constate
l’importance de réaliser un profond travail intérieur pour se libérer du
trauma vécu et en guérir. Nous sommes encore avec cette force invisible
qui façonne nos vies et la société.
Plein de gens disent autour de moi « Arrête, c’est fini.
Nous n’allons pas ressasser le passé. » Sans avoir à le ressasser, selon
Eve Bertelle il est important de conscientiser, digérer psychiquement
ce qu’il s’est passé. Si nous ne faisons pas ce travail, nous allons
empoisonner nos corps et nos cœurs.
L’ampleur du trauma collectif vécu est sans précédent. Et il n’est
pas réellement conscientisé par la société. Lors de cette crise, nous
avons tous plus ou moins perdu le nord, perdu le contact avec nos
repères et notre boussole intérieure. Cette désorientation a enclenché
en nous et dans la société un processus de déshumanisation. Si nous
voulons grandir en humanité, et non emprunter la voie d’une régression
collective :
Nous sommes destinés à rencontrer nos propres zones
d’immaturité, mais aussi nos zones d’inhumanité à l’intérieur de nous
afin de les transformer.
La vocation initiatique de la crise
Toute crise a une vocation initiatique, cela crée un
avant et un après. Nous sommes dans un passage, un seuil à franchir qui
met en jeu un processus complexe de métamorphose et de transmutation
intérieure. Cette crise nous met tous face à un enjeu de croissance
psychique, de croissance spirituelle. Cela nous emmène au-delà de ce que
nous croyons connaître de nous, au-delà de nos modes de fonctionnement
habituels. C’est pour cela que cette crise sonne pour moi vraiment
l’heure du réveil.
S’éveiller signifie « regarder les choses telles
qu’elles sont », regarder la réalité telle qu’elle est et ne pas se
voiler la face. Cela signifie voir le mal là où il est.
La question du mal
Cette question du mal taraude l’humanité depuis la nuit des temps.
Elle a ressurgi violemment au 20e siècle avec les deux guerres
mondiales. Et elle revient complètement à l’ordre du jour avec la crise
Covid. Cette crise a été un grand amplificateur de nos inconscients et
un révélateur des énergies de l’ombre.
Eve Bertelle nous invite à appréhender la question du mal, non
seulement d’un point de vue collectif, mais avec une perspective
individuelle :
Pour voir le mal là où il est, premièrement il faut
éviter de voir le mal partout. Le mal n’est pas partout. Sinon nous
sombrons dans le désespoir, le nihilisme et la haine.
Deuxièmement, il
faut éviter de voir le mal nulle part. Cette crise pose la question de
notre relation à l’ombre, à notre inconscient. Le principe de la crise
fait éclater tous nos repères et vient creuser nos propres failles
individuelles et nos blessures. Par ces failles vont remonter tout ce
qui était enfoui sous la surface, pour qu’on puisse le mettre en lumière
et le nettoyer.
Mais à travers ces failles sont sorties également des énergies dont
la vocation est de détruire. Ainsi, nous avons vu dans la société de
grosses remontées de perversion, de pulsions sadiques. Par exemple, les
mesures prises à l’égard des enfants et des adolescents a été un
acharnement, un désir inconscient de détruire la jeunesse…
Ces énergies ont attaqué le vivant, notre faculté
d’amour. Il s’agit d’une attaque contre ce qui existe de plus précieux
dans notre humanité.
Pas à pas, nous pouvons nous dégager de ces forces là (…) Nous devons
reprendre notre pouvoir, notre puissance. Nous pouvons nous installer
dans la santé, dans la joie et continuer à œuvrer au service de la vie.
Nous engager du côté de la vie, cela signifie identifier ces forces de
l’ombre, nous positionner vis à vis d’elles et dire «tu ne passeras
pas.» Nous n’ouvrons pas la porte à ces forces là.
Cesser nos petits arrangements avec le diable
En définitive, dans le contexte actuel, Eve Bertelle pose deux questions essentielles :
- Comment être en paix avec le monde actuel, de façon à ne pas être affecté par celui-ci ?
- Comment être complètement soi-même dans ce monde, sans rien lui
concéder ? C’est à dire sans participer, ni alimenter ce monde. En
cessant définitivement tous nos petits arrangements avec le diable…
Comment allons-nous incarner cette vérité intérieure que
nous portons, cette dimension spirituelle, cet amour enraciné dans le
divin ? Il nous faut un axe pour tenir debout. Pour marcher sur nos deux
jambes, il nous faut flirter avec le déséquilibre, avec l’inconfort en
permanence. C’est tout le chemin de la voie du milieu.
Pour en savoir plus
Découvrir le livre d’Eve Bertelle Comment une crise nous transforme en profondeur sur son site.

Dans tout chaos, il y a un cosmos ;
dans tout désordre, un ordre secret.
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C.G. Jung
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